ANTI-BULLSHIT, quand les mots n'ont plus de sens

Bullshit signifie littéralement "merdre de taureau". Si l'étymologie du terme prête à sourire, ne passe pas inaperçu tant à la vue qu'à l'odorat, c'est tout le contraire pour la version du terme qu'étudie le livre d'Elodie Mielczareck : caché, insidieux, destructeur. Car les fake news, storytelling, langue de bois, mots zombies, discours creux participent au désenchantement du monde. Tout comme la frontière entre le Réel, la Vérité et le Mensonge qui s'amenuise...

Elodie Laye Mielczareck est consultante, conférencière et auteure (Déjouez les manipulateurs, Nouveau Monde, 2016; La Stratégie du caméléon, Cherche-Midi, 2019, Courrier du Livre, 2021). Son dernier ouvrage, Anti Bullshit (Editions Eyrolles, 2021) s'intéresse aux phénomènes sémantiques de la post-vérité. Produit par les entreprises, la communication, les politiques... mais aussi par tout un chacun, le bullshit est omniprésent et paradoxalement, parfois difficile à déceler.

Par exemple, aux Etats-Unis, depuis l'élection de Donal Trump, on parle de "faits alternatifs" pour qualifier les déclarations de l'ancien Président et de son clan. Et pourtant, ne s'agit-il pas le plus souvent de mensonges totalement assumés ? 

Alors, pour nous aider à démêler le vrai du faux et nous apprendre à déchiffrer les codes, l'auteure nous propose une vingtaine d'études de cas concrets, des schémas, des résumés mais aussi de nombreuses références scientifiques ou philosophiques. " Le sens ne se construit pas, il se révèle".

On s'interroge à tour de rôle sur les expressions "pouvoir d'achat ressenti", "distanciation sociale " (et non physique ) ou sur le passage de "vidéo surveillance" à "vidéo protection". Si certains paragraphes nous font sourire parce qu'on est nous aussi tombés dans le piège, d'autres nous force à l'introspection. Serions-nous aussi des véhicules du bullshit ?

Certes, il ne s'agit pas là d'une lecture de plage, mais d'un véritable outil de déprogrammation du cerveau pour voir ce que nous ne voyons plus et savoir se rendre de nouveau attentif à tout ce que convoque en nous, un simple mot.

En conclusion, nous avons retenu la citation d'Albert Camus qui ouvre le premier chapitre du livre : "Mal nommer un objet, c'est ajouter aux malheurs de ce monde".

 

AntiBullshit d'Elodie Mielczareck - Editions Eyrolles - 2021

TRANSITION ENERGETIQUE INNOVANTE EN 10 CAS D'ENTREPRISE

C'est un ouvrage comme on en voit peu : un vrai outil professionnel, technique et précis qui nous parle d'innovation et d'initiatives en matière de transition énergétique, le tout très bien servi par une écriture claire, des schémas et surtout, illustré d'exemples réels.

Ces exemples nous détaillent par le menu les stratégies et réalisations opérationnelles d'entreprises pas forcément connues du grand public mais dont la transition et les efforts sont bien réels : Atlantech (Comment peut-on structurer une intégration systémique de la transition énergétique à l’échelle d’un quartier), Luzo (Comment élaborer un projet énergétique intégré autour du développement d’une filière hydrogène à La Rochelle ?), Watway (Comment concevoir et déployer une innovation au service de la transition énergétique), Spie batignolles (Comment peut-on développer des collaborations autour d’innovations ouvertes au sein d’un écosystème d’acteurs qui doivent modifier collectivement leurs comportements), Boralex (Comment intégrer la question de l’acceptabilité sociale dans les projets EnR au niveau des territoires), Montfermeil (Comment accompagner un territoire vers la performance globale  ? De la RSE à la RST), Eraole (Comment concilier énergie propre, vol longue durée et intérêt commercial ), Avatar (Comment développer une innovation technologique « frugale » pour apporter une solution de mobilité quotidienne grand public avec faible impact environnemental), Eigsi (Comment peut-on mettre les acquis des étudiants ingénieurs au service de l’accompagnement des communes en quête de transition énergétique) et UlcOpenSpace (comment déployer des innovations de sens au sein d’un écosystème universitaire qui répondent à la fois à des enjeux de transition énergétique et pédagogique).

Les auteurs nous montrent à quel point l'innovation responsable est protéiforme, et combien elle dépasse le pré carré des ingénieurs pour engager toutes les parties prenantes de l'entreprise,  Les cas proposés ont tous été identifiés dans le cadre des sélections pour les «  Trophées de l'innovation territoriale E5T  » et ont été retenu pour leurs critères d’efficacité, de faisabilité, d’impact et de territorialité (https://www.e5t.fr/post/deposez-votre-projet).
Ce livre est également collaboratif dans sa construction, dans le sens où il s’agit d’une co-écriture entre des chercheurs et les acteurs de chaque cas : Eric Verdier, maitre de conférences et directeur de la chaire CERi à l'ISCID CO, Vincent Helfrich, professeur à l'ESCA et chercheur, L'Hocine Houanti, professeur associé à l'Ecole de Management de Normandie et chercheur au Metis Lab, Eric Vernier, directeur général de l'ISCID COet chercheur à l'IRIS.

Un ouvrage pour les passionnés et tous ceux qui veulent réellement passer à l'action au sein de leur entreprise.

Pratiquer une transition Energétique Innovante en 10 cas d'Entreprises - aux Editions DUNOD - 2022

GIEC

LE GIEC, urgence climat

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les rapports du GIEC sont dans ce livre. C'est vraiment le meilleur qu'on ait lu sur le sujet, parce qu'il est très respectueux du texte et de la pensée du GIEC, très pédagogue et explicatif, sans interprétation ni biais, contrairement à ce que l'on trouve souvent ailleurs. A ce titre, Sylvestre HUET, journaliste et auteur de l'ouvrage, a fait un travail remarquable, d'ailleurs salué dans sa préface par Jean Jouzel, le célèbre climatologue.

Classiquement, le livre commence par un avant-propos qui nous rappelle l'histoire du GIEC, de façon très intéressante. Ensuite, chaque partie va suivre un rapport du GIEC : d'abord le rapport du groupe 1 sur la physique du climat, puis celui du groupe 2 sur les impacts, l'adaptation et les vulnérabilités, puis le rapport du groupe 3 sur l'atténuation.

En plus des nombreuses informations qu'il apporte, l'ouvrage est illustré de schémas bienvenus pour améliorer la compréhension et mieux saisir les rapports de valeurs. La partie 2 sur les impacts est particulièrement intéressante car elle reprend les différents scénarios de réchauffement et dévoile des conséquences catastrophiques en chaine tout en dénonçant les fausses bonnes idées, comme certains projets de géothermie par exemple. La partie 3 est très claire sur les phénomènes inquiétants comme la montée des inégalités, les problématiques de mégalopoles urbaines en croissance, etc., sur l'inaction des décideurs sur le sujet et le sous financement absolu des actions de lutte et d'adaptation au réchauffement climatique.

La conclusion est un vrai condensé de notre époque et de ses enjeux, à lire absolument. Nous vous en livrons un passage en guide de conclusion à cette chronique : " Parce que le capitalisme ? C'est l'un des slogans les plus repris dans les manifestations pour "sauver le climat". Ce n'est pas faux. Quels sont les moteurs principaux de l'économie capitaliste ? La recherche du rendement financier maximum dans le temps le plus court possible, l'accumulation des richesses vers les détenteurs de capitaux, des "super-riches" desquels la richesse est sensée "ruisseler", la concurrence effrénée entre entreprises pour conquérir des marchés à coup d'innovations réelles ou factices  et de publicités massives colonisant l'imaginaire des populations afin de booster les consommations, la spécialisation des territoires. Tout cela est avéré. Ce sont des totems de la pensée économique et des pratiques politiques dominantes. Ce sont des machines à émettre des gaz à effet de serre sans se soucier des conséquences. C'est très probablement la cause majeure, la plus difficile à combattre, de la trajectoire actuelle des émissions".

 

GIEC, Urgence climat, de Sylvestre HUET, aux éditions TALLANDIER, 2022

 

 

A coté de nous le déluge

On ne va pas vous mentir : le livre du sociologie allemand Stephan LESSENICH n'est pas forcément facile à lire. Mais son analyse de notre "société d'externalisation" n'en reste pas moins extrêmement pertinente et très enrichissante pour qui s'intéresse aux relations NORD/SUD et plus particulièrement à la spoliation du SUD par le NORD. Non pas après nous, mais à côté de nous. Une situation qui affecte dès à présent le système économique planétaire. 

Le livre nous captive dès le début en nous relatant la catastrophe de Bento Rodrigues dans l'état brésilien du Minas Gervais : la rupture du barrage de deux bassins de rétention des eaux usées d'une mine de fer (l'équivalent de 25000 piscines olympiques) se déversent dans le RIO DOCE, le fleuve voisin. Une coulée de 853 km de long, charriant du fer, du plomb, du mercure, du zinc, de l'arsenic et du nickel laisse derrière elle une écosystème ravagé. Ce terrible accident n'est qu'une illustration des terribles conditions imposées par les pays exploitants aux pays exploités.

Depuis l'origine de l'industrialisation capitaliste, la stratégie des pays du NORD a toujours consisté à faire porter le poids de leur développement à d'autres. Ainsi, en regard de la question environnementale, le problème n'est pas tant que nous vivions au dessus de nos moyens, mais que nous vivions au dessus des moyens des autres.

Très riche en exemples, À côté de nous le déluge ajoute aux théories « centre – périphérie » une dimension écologique essentielle, mais aussi l’évidence, pour les citoyens du Nord devenus aveugles, de la normalité d’une consommation de masse. Le concept classique d’externalisation fait bien ressortir comment le Nord trouve toutes ses ressources à bas prix à partir du Sud – même s’il existe des poches de richesse dans le Sud –, auquel il retourne ses déchets. Mais les changements climatiques, comme la crise des réfugiés, rendent visibles les impacts de cette société d’externalisation et son prix. Car la société monde ne dispose plus de zones externes pour se maintenir, contrairement aux révolutions industrielles du XIXe siècle.

Un excellent livre d'analyse et de remise ne cause du système socio-économique actuel.

 

A coté de nous le déluge, Stephan LESSENICH, aux éditions EcosSociété, 2019

Ralentir ou Périr

Depuis la parution de sa thèse en 2019 (The political economy of degrowth), Timothée Parrique est sans doute l'un des économistes qui fait le plus parler... et pas seulement de lui, mais bien du fameux concept de DECROISSANCE. 

Son livre RALENTIR OU PERIR paru en septembre 2022 est un ouvrage très pédagogue sur l'économie en général, les concepts de croissance et de PIB en particulier. Car l'auteur déconstruit pas à pas le mythe de la croissance génératrice de progrès et va même jusqu'à démontrer pourquoi nous n'avons pas besoin de croissance pour éradiquer la pauvreté. "La croissance est écologiquement insoutenable, socialement insupportable, et politiquement futile ; elle détruit le monde du vivant, épuise les communautés, et tout cela sans augmenter le bien-être."

Face aux injonctions du "produire plus", l'auteur démontrer à quel point le PIB n'est plus un bon indicateur économique aujourd'hui car il ne prend pas en compte les dommages environnementaux et sociaux. A l'inverse " une économie « en décroissance » ferait l’expérience d’une réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être". Elle répondrait directement aux contradictions sociales dont la dévalorisation du travail et la montée des inégalités sont la partie la plus visible, mais aussi aux contradictions écologiques faites de réchauffement du climat, d’épuisement des ressources, de perte de biodiversité et de pollutions multiples, auxquelles se sont ajoutées la guerre en Europe déclenchée par l’impérialisme russe et la montée de l’inflation, déjà perceptible depuis plus de dix ans sur les matières premières, notamment agricoles.

C'est certainement l'une des grandes forces de l'ouvrage que de nous montrer les limites sociales et pas uniquement écologiques de la croissance. Une autre est de démolir le concept de "croissance verte" et de "découplage", déjà bien attaquées par de nombreux scientifiques.

Au final, l'auteur plaide pour une société de la "post-croissance" : "abandonner la poursuite de la lucrativité. La recherche effrénée des profits est aujourd’hui un obstacle à la transition écologique, et cette logique du "grow-or-perish" n’est absolument pas compatible avec l’idéal d’une économie harmonieuse et parcimonieuse dans un régime de post-croissance. Graduellement, il va falloir transformer toutes nos entreprises en coopératives à lucrativité limitée, suivant le modèle des Sociétés Coopératives d’intérêt collectif (Scics). La plupart des entreprises doivent s’ancrer dans des territoires, se démocratiser, souvent réduire leur taille afin de pouvoir fonctionner démocratiquement et, je le répète : abandonner cette obsession pour la valeur financière".

 

RALENTIR OU PERIR de Thimothée Parrique aux éditions du SEUIL - 2022