Retour sur l'affaire du chlordécone aux Antilles qui est bien plus qu’un scandale sanitaire et environnemental.
Malcom Ferdinand, ingénieur en environnement, chercheur en science politique au CNRS et figure centrale de l’écologie décoloniale en France, explique en quoi elle est le marqueur de "l'habiter colonial" dans son dernier livre "S'aimer la Terre".
Aux questions des journalistes de SOCIALTER sur son ouvrage, il répond : "Mon livre cherche à démontrer que le chlordécone n’est pas qu’une molécule polluante et extrêmement toxique. C’est pour moi un marqueur de ce que j’ai appelé « l’habiter colonial », qui est une manière de se penser sur Terre héritée des colonisations européennes. Cet « habiter colonial » est orienté vers l’exploitation massive du vivant et implique l’effacement de toutes celles et ceux qui ne ressemblent pas aux colonisateurs."
Rappelons nous : Le chlordécone, cet insecticide, fabriqué aux États-Unis dans les années 1950, a notamment été utilisé aux Antilles dans les années 1970-1990 pour lutter contre le charançon du bananier alors qu'on savait déjà à l'époque son niveau de dangerosité. Résultat : une contamination durable, avec une rémanence allant de plusieurs dizaines d’années à plusieurs siècles. cette contamination est généralisée, car on retrouve du chlordécone dans l’ensemble des écosystèmes et, a fortiori, dans les corps des Antillais.
Le Chlordécone a été interdit en 1993 en France à cause des graves problèmes de santé dont il est responsable, qui vont du retard de développement des enfants aux réductions des périodes de grossesse, en passant par l’augmentation des risques de développer un cancer de la prostate.
"La contamination est le résultat d’un ensemble de relations — politiques, juridiques, scientifiques — répondant à ce que j’appelle « l’habiter colonial ». Cela s’inscrit dans la manière d’habiter la Terre forgée au moment de la colonisation. Cette différence de traitement entre les êtres humains, le chlordécone ne l’invente pas, il la révèle" explique Malcom Ferdinand. "Par exemple, en 1974, il y a eu l’une des grandes grèves agricoles menées par des ouvriers martiniquais noirs. Ils demandaient notamment de ne plus utiliser le chlordécone. Les grévistes ont été durement réprimés, avec plusieurs blessés et deux morts, tués par des forces de gendarmerie majoritairement blanches. Cela illustre le pouvoir de mise à mort d’un État au service de propriétaires de bananes qui sont majoritairement issus d’un groupe socioracial, les békés, se liant par une solidarité raciale blanche."
Si le colonialisme peut être décrit comme un processus historique avec un début et une fin, la colonialité, elle, fait référence à ce système colonial, à cette manière d’habiter la terre et de concevoir ces relations coloniales, violentes, patriarcales, qui détruisent les écosystèmes.
S'aimer la terre, de Malcom Ferdinand, aux Editions du Seuil - 2024