A la faveur de la crise sanitaire et de son cortège de mauvaises nouvelles, la collapsologie retrouve les honneurs des media. Alors repenchons-nous sur le phénomène pour mieux en comprendre les tenants et les aboutissants, qui ne sont pas toujours ceux qu'on croit...
"Notre civilisation est aujourd'hui sur une trajectoire économique qui n'est pas soutenable, sur un chemin qui nous mène vers le déclin économique, voire l’effondrement" disait Lester Brown, fondateur du Worldwatch Institute. Déjà en 2006, et bien avant encore, plusieurs chercheurs sonnaient l’alarme sur l'inconséquence totale de notre système, sans être entendus. En 2015, Pablo Servigne et Raphaël Stevens s’essayaient à leur tour à l’explication de ce courant de pensée, dans ce livre qui est devenu une véritable bible de la collapsologie.
"Il ne s'agit ni d'une apocalypse, ni de la fin du monde et encore moins d'une simple crise que l'on pourrait traverser indemne". Dans ce premier chapitre baptisé "prémices d'un effondrement'', les auteurs retracent le processus d'accélération sans limites de notre système de développement, de l’ère industrielle à nos jours. Dans cet univers de croissance infinie et exponentielle, nous nous retrouvons engagés dans un mouvement allant bien au-delà des capacités terrestres.
Le sujet de l’énergie ouvre logiquement le chapitre, à l'aube d'une chute fulgurante et incontrôlable des ressources fossiles. Cette catastrophe annoncée en entrainera d'autres, celles du climat et de l'écosystème, dont les conséquences encore inconnues sont somme toute, terrifiantes. Car dans un monde interconnecté, les conséquences iront en cascade, menaçant non pas qu’un aspect du système, mais bien toute sa structure, qu’elle soit économique, sociale ou politique. L'hyperglobalisation transforme ainsi le monde en un système complexe dont la sortie semble presque inimaginable.
Dans le deuxième chapitre "alors c'est pour quand ?", les auteurs s'attèlent à l'épineuse question du calendrier de l'effondrement. Ils affirment ainsi, que, malgré de nombreux “signes avant-coureurs” qu'il est essentiel d'étudier, "nous ne pourrons jamais affirmer avec certitude qu'un effondrement général est imminent avant de l'avoir vécu". Cette mesure du temps qui nous reste est complexe et surtout indéfinissable malgré les indices concrets imminents. Serait-ce pour 2030 ? Ou 2050 ? Peut-être 2100 ? Si une extinction de notre civilisation est potentiellement prévisible, chaque catastrophe qui en est la cause suit un rythme différent. Si des catastrophes environnementales se manifestent déjà de façon récurrente, d’autres s’approchent et frapperont à un moment encore inconnu des scientifiques. Cette imprévisibilité des basculements a motivé plusieurs chercheurs à mettre en place des outils de calcul permettant de prévoir cet avenir encore flou. Des algorithmes tels que HANDY ou World3, permettent ainsi de visualiser et simuler les dynamiques de plusieurs courbes telles que celles de l'énergie, la production, la démographie, les inégalités socio-économiques ou encore la pollution.
La dernière partie du livre, sobrement intitulée "collapsologie", traite exclusivement de ce courant de pensée. À la manière d’un “catastrophisme éclairé" dont parlait le philosophe Jean Pierre Dupuy, les collapsologues cultivent une vision catastrophique de l’avenir afin de pouvoir agir pour le changer. Loin d'être nihilistes, ils étudient le monde présent pour en prédire les événements à venir, et les actions à entreprendre contre cette possible “réduction drastique de la population humaine et/ou de la complexité politique/économique/sociale, sur une zone étendue et une durée importante". L’effondrement n’est finalement que l'opportunité de prendre ses responsabilités, et de réinventer nos manières de vivre dans une planète plus respectée et entendue. Finalement, "la collapsologie est une école de responsabilité", qui force les individus à regarder la réalité en face, de manière à produire un changement intérieur, pour générer des résultats sur le monde extérieur. Si nos ancêtres ont fait le choix d'une "brève grandeur" et non pas d'une "longue médiocrité " comme le disait l'économiste britannique William Stanley Jevons, lors du début du monde thermo-industriel, c'est aujourd'hui à nous d’en subir les conséquences, désastreuses soient-elles, et de repenser le système dans son entièreté. Les auteurs utilisent ainsi la métaphore de la gueule de bois pour imager la situation dans laquelle nous nous trouvons: tous en "gueule de bois”, un lendemain de fête emplie d’ivresse et d’excitation, qui nous plonge brutalement dans la réalité des choses: pouvons nous encore choisir une “longue médiocrité”, qui ne paraît plus si médiocre que ça ?
L'effondrement est l'horizon de notre génération. C'est le début de son avenir.
Comment tout peut s'effondrer ? P. SERVIGNE & R. STEVENS - éditions du SEUIL- 2015